Des représentations paradoxales et.... évolutives

La blancheur naturelle du saccharose pur au fil des temps a inspiré des opinions très variables :
• Au 19
e siècle, plus le sucre était blanc, plus on le considérait comme pur et sain.
• Au début du 20
e siècle, époque de l’essor industriel, l’expression «sucre raffiné»1  était perçue positivement.
• Dans les années 1970, l’appréhension liée à la soudaine notoriété des poudres stupéfian-tes (héroïne, cocaïne) rend sa blancheur suspecte.
• À la fin des années 1990, l’engouement occidental pour les produits «d’origine» instaure une distinction imaginaire entre sucre roux – perçu comme exotique et artisanal – et sucre blanc.
• Dans des années 2000, les consommateurs aspirent à une alimentation plus saine et authentique, mais plébiscitent à travers leurs achats les produits dits « allégés » où le sucre est remplacé par des substituts issus de la chimie.
• Avec les années 2010, les Français réaffirment leur attachement au sucre, notamment sur trois critères significatifs : authenticité, naturalité, place dans l’équilibre alimentaire.
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1. Dans les faits, seule une infime partie du sucre blanc consommé en France peut être qualifié de «raffiné», 96 % des volumes étant simplement «extraits» de la betterave sucrière par des procédés mécaniques.
2. Enquête Cedus-OpinionWay, octobre 2013.

 

Le sucre garde des symboles de bien-être et de plaisir partagé.

Symboles contrastés

Au sein de la palette d'aliments et de recettes qui accompagnent et rythment la vie sociale, le sucre et le sucré bénéficient d’un statut à la fois spécifique et ambivalent.

  • Spécifique, car le sucre n’est frappé d'aucun interdit archétypal.
  • Ambivalent, parce qu'il ne cesse, au cours de l'histoire, d'être ardemment désiré… tout en faisant l'objet d'une certaine méfiance, voire de tentatives récurrentes de diabolisation. Il n'en reste pas moins apprécié, comme en témoignent avec constance les enquêtes d’opinion menées auprès des consommateurs, et univer-sellement apprécié dès la naissance. Quelles que soient les cultures et religions, d'un bout à l'autre de la planète, il apparaît constamment comme un aliment asso-cié à des représentations réconfortantes et à des manifestations aussi festives que conviviales, qu'elles soient religieuses ou profanes.

Au plan symbolique, le sucre est souvent associé à la douceur, à l'amour et à la vie. Chez les Peuls du Sahel, par exemple, le thé non sucré est amer «comme la mort» ; légèrement sucré, il est doux «comme la vie» ; fortement sucré, il est bon «comme l'amour».

  • Dès le Moyen Âge occidental, le sucre est associé au monde féminin.
  • À l'aube du 19e siècle, les galants se concilient les bonnes grâces des dames à grand renfort de friandises aux noms évocateurs : «à vos charmes», «à la constance», «rose d'amour», «coque d'amour»... Comme le confirme Florent Quellier, «l'association femme/sucre est tellement ancrée dans l'imaginaire collectif que des magazines féminins, en plein 20e siècle, préconisent aux femmes enceintes un régime sucré si elles souhaitent donner naissance à une fille.»

 

Plaisirs partagés

N’en déplaise à ses détracteurs, le sucre est ainsi, dans de nombreuses cultures, utilisé pour célébrer la vie au cours de moments partagés.

 

Le fameux œuf de Pâques en sucre ou en chocolat n’est-il pas, en lui-même, un symbole de vie nouvelle ? Au Mexique ou en Sicile, le sucre sert même à conjurer la mort grâce un rituel bien établi : déguster des figurines macabres en sucre moulé. Certains desserts ont également de fortes dimensions symboliques et les plaisirs sucrés sont les invités de tous les moments marquants du calendrier, qu'il soit culturel ou religieux.

Outre les œufs en chocolat, les fêtes pascales sont associées à des pâtisseries à base de brioche, comme l'osterkranz allemand ou la pashka russe, décorées des lettres XB qui évoquent la résurrection du Christ.


De nombreux pays fêtent Noël avec des recettes traditionnelles agrémentées de fruits secs: le
melomacarona en Grèce, le pain de Noël en Autriche et en Allemagne, le koutia en Pologne, le pudding en Angleterre ou les treize desserts en Provence.
En Alsace, Allemagne, Belgique, Finlande ou à Chypre, ce sont des figurines en pain d'épices ou en pâtes levées qui sont prisées sous différentes formes. Tandis que les familles se régalent de desserts, lettres en chocolats ou brioches au Portugal, aux Pays-Bas et en Roumanie.

 

Au Japon, les biscuits kagami mochi sont des offrandes destinées à assurer bonheur et vitalité pour l'année à venir. Pour le Nouvel an, les Chinois boivent du thé aux graines de lotus ou au jujube sucré ou mordent dans un ravioli contenant un sucre pour se souhaiter prospérité et bonheur, non sans s'offrir des boîtes de confiseries pour commencer l'année dans la douceur.


D'autres dates phares ne sont pas en reste.

En Turquie, le Ramadan se clôture par une Fête du sucre qui dure trois jours à grand renfort de pâtisseries et de loukoums, qui signifie littéralement «morceau de paix» ou «morceau de contentement».

En Chine, le Festival de la lune s'accompagne de mooncakes en forme de lune pleine, fourrés de fèves rouges sucrées. Cette pâtisserie évoque la légende de la belle Chang Er qui s'est envolée sur la lune pour fuir un mari despote.

Enfin en Iran, lors de la Fête de l'eau, le rite de purification consiste à se plonger dans l'eau et, avant tout échange de paroles, à manger un aliment sucré, symbole de douceur et de joie partagée.


En occupant une place privilégiée au cœur des représentations de l'alimentation humaine, les plaisirs sucrés illustrent de manière exemplaire la célèbre formule de Claude Lévi-Strauss :
«pour qu’un aliment soit bon à manger, il faut qu’il soit bon à penser.» Et s'ils restent des marqueurs identitaires et symboliques aussi pérennes, c'est autant parce qu’ils représentent une source de plaisirs individuels que parce qu’ils remplissent une fonction communautaire à la fois festive et socialement fédératrice.

La saccharophobie ou la question du plaisir

Composante spécifique des représentations liées au sucre, la saccharophobie est un sentiment apparu au 17e siècle qui s'enracine dans un débat à la fois médical, économique et théologique. Alors que la médecine médiévale considérait le sucre comme une substance
bienfaisante, l’influence de la pensée janséniste du 17
e incite certains médecins à penser que le sucre peut « cacher sous sa blancheur une noirceur maléfique ». Son aptitude à «corriger tous les désagréments de quelque nourriture que ce soit», le rend suspect... voire capable de «dissoudre l’or» !
Un siècle plus tard, alors que la disponibilité du sucre s’accroît, les moralistes anglo-saxons voient d’un mauvais œil cette source de plaisir qui gagne la société. Au 19
e siècle, le
médecin français Carton accuse le sucre d’être, avec l’alcool et les viandes, un aliment
«meurtrier » qui provoque «l’empoisonnement de la pensée contemporaine», avec son cortège de «productions littéraires amorales, romans délirants, musiques contorsionnées, peintures inharmonieuses...»
Ainsi que le constate le sociologue Claude Fischler*, « la manière dont les médecins parlent du sucre est rarement purement technique, médicale. Le discours médical aborde très fréquemment les thèmes sous un angle fortement moralisateur. » Aujourd’hui, il reste un objet d’un débat bipolaire, oscillant entre condamnation et célébration, méfiance et plaisir. Au final, le sucre ne serait-il pas, bien involontairement, le révélateur de quelque syndrome ? C’est peut-être ce que tendent à démontrer les travaux de Claude Fischler pour qui, derrière la relation au sucre, «se pose la question fondamentale du rapport au plaisir». Et, au-delà, la question du rapport au progrès et à l'évolution de la société.
* Claude Fischler. « Le labyrinthe des discours », in Le mangeur : menus, mots et maux, éd. - Ocha-Autrement, Paris 1993

 

Actuellement: le sucre, controversé, éveille la méfiance

Préférences alimentaires liées à la croissance chez l’enfant

La consommation excessive d’aliments sucrés et salés par les enfants a un impact reconnu sur leur santé. Une équipe de chercheurs américains a étudié les préférences alimentaires qui conditionnent les comportements chez les 5 à 10 ans. Leurs travaux ont mis en lumière certains déterminants qui n’avaient pas, jusqu’alors, été formellement identifiés:

  • Les enfants grands pour leur âge ont plus d’attirance pour le sucré.
  • Les plus corpulents tendent à avoir une attirance plus marquée pour le sel.
  • Les préférences pour le sucré et pour le salé semblent liées l’une à l’autre. Autrement dit : plus on apprécie le salé, plus on aime le sucré et réciproquement. Cet ensemble de constats contribue à expliquer les épisodes de consommation éle-vée de certains aliments constatés chez certains enfants.     Source : PloS One, mars 2014

Sédentarité, écrans... Les «tubes caloriques» pour les ados

Sédentarité et temps passé devant les écrans sont des facteurs reconnus pour leur impli-cation dans la prévalence du surpoids chez les adolescents. Regarder la télévision encou-ragerait, de surcroît, la consommation d’aliments et de boissons riches en énergie, cela au détriment des fruits, légumes et aliments riches en fibres. Ce constat a été confirmé par une vaste étude réalisée sur les ados australiens. Celle-ci montre également que le gri-gnotage est lié à la disponibilité de produits de snacking au domicile.

Source : Public Health Nutrition, février 2014

Allégés = les faux amis (Exemple des biscuits allégés : plutôt moins gras que moins sucré)

Quel jugement portent les consommateurs sur les aliments à teneur réduite en sucres et en matières grasses ?

Un groupe de consommateurs français s’est prêté à une expérience sur quatre familles de biscuits proposées en versions, plus ou moins « allégées ».
Sachant que sucres et gras jouent un rôle essentiel dans la texture, l’aspect et les qualités sensorielles des biscuits, cette étude a permis d’évaluer le niveau d’appréciation des pro-duits en fonction de leur composition. Les versions perçues comme
«moins sucrées» ou «moins sucrées et moins grasses» ou «moins sucrées et moins croustillantes» que le pro-duit de référence ont été les moins appréciées ; seules les versions perçues comme «moins grasses» n’ont pas modifié l'appréciation globale du produit. Ces résultats suggèrent que d’un point de vue purement sensoriel, il est plus acceptable par le consommateur de réduire le taux de matières grasses que le taux de sucres.
Source : Food Quality and Preference, juillet 2014, Inra Dijon